Chatterton à Caen
"Despair and die"
Shakespeare
" Il peut s'exercer indifféremment à
l'oeuvre d'art et à la critique, prenant dans l'une la
firme à la mode, dans l'autre la dissertation
sentencieuse.
Il sait le nombre des paroles que l'on peut réunir
pour faire les apparences de la passion, de la
mélancolie, de la gravité, de rérudition et de
l'enthousiasme.
Mais il n'a que de froides velléités de ces
choses, et les devine plus qu'il ne les sent il les
respire
de loin comme de vagues odeurs de fleurs inconnues. Il
sait la place dit mot et du sentiment, et les
chiffrerait
au besoin. Il se fiait le langage des genres, comme on
se fait le masque des visages. Il peut écrire la
comédie
et l'oraison funèbre, le roman et l'histoire, l'épitre
et
la tragédie, le couplet et le discours politique. Il
monte
de la grammaire à l'oeuvre, au lieu de descendre de
l'inspiration ait style; il sait façonner tout dans un
goût vulgaire et joli, et petit tout ciseler avec
agrément,
jusqu'à l'éloquence de la passion. C'est L'HOMME
DE LETTRES.
Cet homme est toujours aimé, toujours compris, toujours
en vue; comme il est léger et ne pèse à personne,
il est porté dans tous les bras ou il veut aller; c'est
l'aimable roi du moment, tel que le dix-huitième siècle
en a tant couronné. Cet homme n'a nul besoinde
pitié.
Au-dessus de lui est un homme d'une nature plus
forte et meilleure. Une conviction profonde et grave
est
la source oit il puise ses oeuvres et les répaud à
larges
flots sur un sol dur et souvent ingrat. Il a médité
dans la retraite sa philosophie entière; il la voit
tout
d'un coup d'ceil; il la tient dans sa main comme une
chaîne, et petit dire à quelle pensée il va suspendre
son
premier anneau, à laquelle aboutira le dernier, et
quelles oeuvres pourront s'attacher à tous les autres
dans l'avenir. Sa mémoire est riche, exacte et presque
infaillible; son jugement est sain, exempt de troubles
autres que ceux qu'il cherche, de passions autres que
ses colères contenues; il est studieux et calme. Son
génie,
c'est l'attention portée au degré le plus élevé, c'est
le
bon sens à sa plus magnifique expression. Son langage
est juste, net, franc, grand dans son allure et
vigoureux
dans ses coups. Il a surtout besoind'ordre et de
clarté, ayant toujours eu vue le peuple auquel il parle
et la voie oh il conduit ceux qui croient en lui.
L'ardenr
d'un combat perpétuel enflamme sa vie et ses
écrits. Son coeur a de grandes révoltes et des haines
larges et sublimes qui le rongent en secret, mais que
domine et dissimule son exacte raison. Après tout, il
marche le pas qu'il veut, sait jeter des semences à une
grande profondeur, et attendre qu'elles aient germé
dans une immobilité effrayante. Il est maitre de lui et
de beaucoup d'âmes qu'il entraine dit nord au sud,
selon son bon vouloir; il tient un peuple dans sa main,
et l'opinion qu'on a de lui le tient dans le respect de
lui-même et l'oblige à surveiller sa vie. C'est le
véritable,
LE GRAND ÉCRIVAIN.
Celui-là n'est pas malheureux il a ce qu'il a voulu
avoir; il sera toujours combattu, mais avec des armes
courtoises; et, quand il donnera des armistices à ses
ennemis, il recevra les hommages des deux camps.
Vainqueur ou vaincu, son front est couronné. Il n'a
nul besoin de votre pitié.
Mais il est une autre sorte de nature, nature plus
passionnée, plus pure et plus rare. Celui qui vient
d'elle est inhabile à tout ce qui n'est pas l'oeuvre
divine,
et vient au monde à de rares intervalles
malheureusement pour l'espèce humaine.
Il y vient pour étre à charge aux autres,
quand il appartient complètement à cette race exquise
et puissante qui fui celle des grands hommes inspirés.
L'émotion est née avec lui si profonde et si intime,
qu'elle l'a plongé, dés l'enfance, dans des extases
involontaires,
dam des rêveries interminables dans des inventions
infinies. L'imagination le possède par-dessus
tout. Puissamment construite, sort âme retient et juge
toute chose avec une large mémoire et un sens droit et
pénétrant; mais l'imagination emporte ses facultés vers
le ciel aussi irrésistiblement que le ballon enlève la
nacelle.
Aumoindre choc, elle part; au plus petit soujjle,
elle vole et ne cesse d'errer dans l'espace qui n'a pas
de
routes humaines. Fuite sublime vers des mondes
inconnus,
vous devenez l'habitude invincible de son âmel
Dès lors, plus de rapports avec les hommes qui ne
soient altérés et rompus sur quelquespoints. Sa
sensibilité
est devenue trop ce qui ne fait qu'effleurer
les autres la blessejusqu'au sang les affections et les
tendresses de sa vie sont écrasantes et
disproportionnées
ses enthousiasmes excessifs s'égarent ses sympathies
sont trop vraies; ceux qu'il plaint souffrent moins
que lui, et il se meurt des peines des autres. Les
dégoûts,
les froissements et les résistances de la société
humaine le jettent dans des abattements profonds, dans
de noires Indignations dans des désolations
insurmontables,
parce qu'il comprend tout trop complètement et
trop profondément, et parce que soit ail va droit aux
causes qu'il déplore on dédaigne, quand d'autres yeux
s'arrêtent à l'effet qu'ils combattent. De la sorte, il
se
tait, s'éloigne, se retourne sur lui-même et s'y
renferme
comme dans un cachot. Là, dans l'intérieur de sa tête
brûlée, se forme et s'accroît quelque chosede pareil ri
un
volcan. Le feu couve sourdement et lentement dans ce
cratère, et laisse échapper ses laves harmonieuses, qui
d'elles-mêmes sont jetées dans la divine forme des
vers.
Mais le jour de l'éruption, le sait-il? On dirait qu'il
assiste en étranger à ce qui se passe en lui-même, tant
celaest imprévu clcélesteUl marche consumé par
desardeurs
secrètes et des langueurs inexplicables. Il va
comme un malade et ne sait oit il va il s'égare trois
jours, sans savoir où il s'est traîné, commefit jadis
celui
qu'aime le mieux la France
faire, pour faire quelque chose en son art. Il faut
qu'il
ne fasse rien d'utile et de journalier pour avoir le
temps
d'écouter les accords qui se forment lentement dans son
âme, et que le bruit grossier d'un travail positif cl
régulier
interrompt et fait infailliblement évanouir.
C'est le poète. Celui-là est retranché dés qu'il se
montre: toutes vos larmes, toute votre pitié pour lui 1
Pardonnez-lui et sauve^-le. Cherchez,et trouve^ pour
lui une lie assurée car à lui seul il ne saura trouver
que la mort! C'est dans la première jeunesse qu'il
seul sa force naître, qu'il pressent de soit génie,
qu'il étrcînt d'un amour immense l'humanité et la
nature,
et c'est alors qu'on se défie de lui et qu'on le
repousse.
Il crie à la multitude. C'est à vous que je parle,
faites que je vive! » Et la multitude ne l'entend pas;
elle répond « je ne te comprends point! » Et elle a
raison.
Car soit langage choisi n'est compris que d'un petit
nombre d'hommes choisi lui-même. Il leur cric: <t
Écoutez-
moi, et faites que je vive! » Mais les uns sont enivrés
de leurs propres ouvris, les autres sont dédaigneux
et veulent dans l'enfant la perfection de l'homme, la
plupart sont distraits et indifférents tous sont
impuissants
à faire le bien. Ils répondent c Nous ne pouvons
rienl » El ils ont raison.
Il crie au pouvoir: « Écoutez-moi, et faites que je
ne meure pas. » Mais le pouvoir déclare qu'il ne
protège
que les intérêts positifs, et qu'il est étranger à
l'intelligence,
dont il a l'ombrage; cela hautement déclaré et
imprimé, il répond « Que ferais-je de vous? a Et il
a raison. Tout le monde a raison contre lui. Et lui,
a-t-il tort ? Que faut-il qu'il fasse? je ne sais; mais
voici ce qu'il peut faire.
Il peut, s'il a de la force, sefaire soldat et passer
sa
vie sous les armes; une vie agitée, grossière, oit
l'activité
physique tuera l'activité morale. Il peut, s'il en a la
patience, se condamner aux travaux du chiffre, oit le
calcul tuera l'illusion. U peut encore, si son coeur ne
se soulh'e pas trop violemment, courber et amoindrir sa
pensée, et cesser de chanter pour écrire. Il peut être
Homme de lettres, ou mieux encore; si la philosophie
vient à son aide et s'il peut se dompter, il deviendra
utile et grand écrivain mais, à la longue, le jugement
aura tué l'imagination, et avec elle, hélas le vrai
Poème qu'elle portait dans son sein.
Dans tons les cas, il tuera une partie de lui-même;
mais, pour ces demi-suicides,pour cesimmenses
résignations,
il faut encore une force rare. Si elle ne lui a pas
été donnée, cette force, on si les occasionsde
l'employer
ne se trouvent pas sur sa route, et lui manquent,
mime pour s1 immoler;si, plongédans cette lente
destruction
de lui-même,il ne s'ypeul tenir, quel parti prendre?
Celui que prit Chatterton se tuer tout entier; il
reste peu à faire.
Le voilà donc criminel! criminel devant Dieu et les
hommes. Car LE suicide EST UN CRIME reli-
GIEUX ET SOCIAL. Qui veut le nier? qui pense à.
dire autre chose} C'est ma conviction comme c'est,
je crois, celle de tout le monde. Voilà qui est bien
entendu.
Le devoir et la raison le disent. Il ne s'agit
que de savoir si le désespoir n'est pas quelque
chosed'un
peu plus fort que la raison et le devoir.
Certes, on trouverait des choses tien sages à dire à
Roméo sur la tombe de Juliette; mais le malheur est
que personne n'oserait ouvrir la bouchepour les
prononcer
devant une telle douleur. Songe à ceci! la
Raison est une puissance-froide et lente qui nous lie
peu
à peu par les idées qu'elle apporte l'une après
l'autre,
comme les liens subtils, déliés et innombrables de
Gulliver;
elle persuade, elle impose quand le cours ordinaire
des jours n'est que peu troublé; mais le Désespoir
véritable est une puissance dévorante, irrésistible,
hors
des raisonnements et qui commencepar la pensée d'un
seul coup. Le Désespoir n'est pas une idée; c'est une
chose, une chose qui torture, qui serre et qui broie le
coeur d'un homme comme une tenaille, jusqu'à ce qu'il
soit fou et se jette dans la mort comme dans les bras
d'une mère.
Est-ce lui qui est coupable, dites-le moi? ou bien
estce
la sociétéqui le traque ainsi jusqu'au bout?
Examinons ceci; on peut trouver que c'en est la
peine.
Il y a un jeu atroce, commun aux enfants du Midi;
tout le monde le sait. Ou forme un cercle de charbons
ardents; on saisit un scorpion avec despinces et on le
bose au centre. Il demeure d'abord immobile jusqu'à ce
que la chaleur le brûle; alors il s'effraye et s'agite.
On
rit. Il se décide vite, marche droit à la flamme, et
tente courageusement de se frayer une route à travers
les charbons; mais la douleur est excessive, il se
retire.
On rit. Il fait lentement le tour du cercle et cherche
partout un passage impossible. Alors il revient au
centre
et rentre dans sa première mais plus sombre immobilité.
Enfin, il prend soit parti, retourne contre luimême
son dard empoisonné et tombemort sur-le-champ.
On rit plus fort que jamais.
C'est lui sans doute qui est cruel et coupable, et ces
enfants sont bons et innocents.
Quand un homme meurt de cette manière, est-il
donc suicide"! C'est la société qui le jette dans
le brasier.
Je le répète, la religion et la raison, idées sublimes,
sont des idées cependant, et il y a telle cause de
désespoir
extrême qui tue les idées d'abord et l'homme ensuite
la faim, par exemple. J'espère être assez positif.
Ceci n'est pas de l'idéologie.
Il me sera donc permis peut-être de dire timidement
qu'il serait bon de ne pas laisser un hommearriver
jusqu'à ce degré de désespoir.
Je ne demande à la sociétéque ce qu'elle peut faire.
Je ne la prierai point d'empêcher les peines de coeur
et
les infortunes idéales, de faire que Werther et Saint-
Preux n'aiment ni Charlotte ni Julie d'Étauges; je ne
la prierai pas d'empêcher qu'un riche désoeuvré, roué
et
blasé, ne quitte la vie par dégoût de lui-même et des
autres. Il y a, je le sais, mille idées de désolation
auxquelles
on ne peut rien. Raison de plus, ce me
semble, pour penser à celles auxquelles on peut quelque
chose.
L'infirmité de l'inspiration est peut-être ridicule et
malséante; je le veux. Mais ou pourrait ne pas laisser
mourir celle sorte de malades. Ils sont toujours peu
nombreux, et je ne puis me refuser à croire qu'ils ont
quelque valeur, puisque l'humanité est unanime sur
leur grandeur, et les déclare immortels sur quelques
vers: quand ils sont morts, il est vrai.
Je sais bien que la rareté mime de ces hommes inspirés
et malheureux semblera prouver contre ce que j'ai
écrit. Sans doute, l'ébauche imparfaite que j'ai tentée
de ces natures divines ne peut retracer que quelques
traits des grandes figures du passé. On dira que les
symptômes dit génie se montrent sans enfantement ou
ne produisent que des oeuvres avortées; que tout homme
jeune et rêveur n'est pas poète pour cela; que des
essais
ne sont pas des preuves; que quelques vers ne donnent
pas des droits. Et qu'en savons-nous? Qui donc
nous donne à nous-m'eme le droit d'étouffer le gland en
disant qu'il ne sera pas chêne?l
Je dis, moi, que quelques vers suffiraient à les
reconnaître
de leur vivant, si l'on savait y regarder. Qui
ne dit à présent qu'il eut donné tout au moins une
pension alimentaire à André Chénier sur l'ode de la
Jeune Captive seulement, et l'eût déclaré poète sur les
trente vers de Myrto? Mais je suis assuré que, durant
sa vie (et il n'y a pas longtemps de cela), on ne
pensait
pas ainsi; car il disait:
Las du mépris des sots qui suit la pauvreté,
Je regarde la tombe, asile souhaité.
Jean La
Fontaine
sa pierre avec soit insouciance désespérée:
Jean s'en alla commeil était venu,
Mangeant son fonds avecson revenu.
Mais, sans ce fonds, qu'eût-il fait? à quoi, s'a vous
plait, était-il bon? Il vousle dit à dormir et lie rien
faire. Il fut infailliblement mort de faim.
Les beaux vers, il faut dire le mot, sont une
marchandise
qui ne plait pas ait commun des hommes. Or,
la multitude seulemultiplie le salaire; et, dans les
plus
bellesdes nations, la multitude lie cessequ'à la longue
d'être commune dans ses goûts et d'aimer ce qui est
commun. Elle lie peut arriver qu'après une lente
instruction
donnéepar les esprits d'élite; et, en attendant,
elle écrase sous tous ses pieds les talents naissants,
dont
elle n'entend même pas les cris de détresse.
Eh! n'entendez-vous pas le bruit des pistolets
solitaires?
Leur explosion est bien plus éloquente que ma faible
voix. N'entendei-vous pas ces jeunes désespérés qui
demandent le pain quotidien, et dont personne lie paye
le travail? Eb quoi! les nations manquent-elles à ce
point de superflu? Ne prendrons-nous pas, sur les
palais
et les milliards que nous donnons, une mansarde et un
pain pour ceux qui tentent sans cesse d'idéaliser leur
nation malgré elle ? Cesserons-nousde leur dire:
Désespère
et meurs; despair and die? » C'est au législateur
à guérir cette plaie, l'une des plus vives et des
plus profondes de notre corps social; c'est à lui qu'il
appartient
de réaliser dans le présent une partie des jugements
meilleurs de l'avenir, en assurant quelques années
d'existence seulement à tout homme qui aurait donné un
seul gage du talent divin. Il ne lui faut que deux
choses:
la vie et la rêverie, le PAINet le temps.
Voilà le sentiment et le vxu qui m'a fait écrire ce
drame je ne descendrai pas de cette question à celle de
la forme d'art que j'ai créée. La vanité la plus vaine
est peut-être celle des théories littéraires. Je ne
cesse de
m' étonner qu'il y ait eu des hommes qui aient pu croire
de bonnefoi, durant un jour entier, à la durée des
règles qu'ils écrivaient. Une idée vient ait monde tout
année, comme Minerve; elle revêt en naissant la seule
armure qui lui convienne et qui doive dans l'avenir
être
sa forme durable l'une, aujourd'hui, aura un vêtement
composé de mille pièces; l'antre, demain, un
vêtement simple. Si elle parait belle à tous, on se
hâte
de calquer sa forme et de prendre sa mesure; les
rhéteurs
notent ses dimensions pour qu'à l'avenir on en
taille de semblables. Soin puéril II n'y a ni maître
ni écoleen poésie; le seul maître, c'est celui qui
daigue
faire descendre dans l'homme l'émotion féconde, et
faire
sortir les idéesde nos fronts, qui en sont brisés
quelquefois.
Puisse cetteforme ne pas être renversée par l'assemblée
quila jugera dans six mois! Avec elle périrait un
plaidoyer en faveur de quelques infortunés inconnus;
mais je croîs trop pour craindre beaucoup. Je crois
surtout à l'avenir et ait besoin universel de choses
sérieuses; maintenant que des yeux par des
surprises enfantines fait sourire tout le mouds au
milieu
même de sesgrandes aventures, c'est, ce me semble, le
temps du dkame de LA pensée.
Une idée qui est l'examen d'une blessure de l'âme
dei'ait avoir dans sa forme l'unité la plus complète,
la
simplicité la plus sévère. S'il existait une intrigue
moins
compliquée que celle-ri, je la choisirais. L'action
matérielle
est assez peu de chose pourtant. Je ne crois pas que
personne la réduise à une plus simple expression que,
moi-même, je ne le vais faire: C'est l'histoire d'un
homme qui a écrit une lettre le malin, et qui attend la
réponse jusqu'au soir; elle arrive, et le tue. Mais ici
l'action morale est tout. JJaction est dans cette âme
livrée à de noires tempêtes; elle est dans les coeurs
de
celle jeune femme et de ce vieillard qui assistent à la
tourmente, cherchant en vain à retarder le naufrage,
et luttent contre un ciel et une mer si terribles que
le
bien est impuissant, et entrains lui-même dans le
désastre
inh'itable.
J'ai voulu montrer l'homme spiritualislc étouffé par
une société matérialiste, ait le calculateur avare
exploite
sans pitié l'intelligence et le travail. Je n'ai point
prétendu
justifier les actes désespérés des malheureux, mais
protester contre l'indifférence qui les y contraint.
Peut-on
frapper trop fort sur l'indifférence si difficile à
éveiller,
sur la distraction si difficile à fixer? Y a-t-il un
autre moyen de toucher la société que de lui montrer la
torture de ses victimes?
Le Poète était tout pour moi; Chatterton n'était
qu'un nom d'homme, et je viens d'écarter à dessein des
faits exacts de sa vie pour ne prendre de sa destinée
que
ce qui la rend un exemple à jamais déplorable d'une
noble misère.
Toi que tes compatriotes appellent aujourd'hui
merveilleux
enfant et tu aies été juste ou non, tu as été
malheureux; j'en suis certain, et cela me suffit.
Âme désolée,pauvre âme de dix-huit ans! pardonne moi
de prendre pour symbole le nom que tu portais sur
la terre, et de tenter le bien en ton nom."
Écrit du 29 au 30 Juin 1834