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What the fuck ?
20 février 2009

Chatterton à Caen

"Despair and die"
Shakespeare



L1040071bis_b


" Il peut s'exercer indifféremment à

 

l'oeuvre d'art et à la critique, prenant dans l'une la

 

firme à la mode, dans l'autre la dissertation sentencieuse.

 

Il sait le nombre des paroles que l'on peut réunir

 

pour faire les apparences de la passion, de la

 

mélancolie, de la gravité, de rérudition et de l'enthousiasme.

 

Mais il n'a que de froides velléités de ces

 

choses, et les devine plus qu'il ne les sent il les respire

 

de loin comme de vagues odeurs de fleurs inconnues. Il

 

sait la place dit mot et du sentiment, et les chiffrerait

 

au besoin. Il se fiait le langage des genres, comme on

 

se fait le masque des visages. Il peut écrire la comédie

 

et l'oraison funèbre, le roman et l'histoire, l'épitre et

 

la tragédie, le couplet et le discours politique. Il monte

 

de la grammaire à l'oeuvre, au lieu de descendre de

 

l'inspiration ait style; il sait façonner tout dans un

 

goût vulgaire et joli, et petit tout ciseler avec agrément,

 

jusqu'à l'éloquence de la passion. C'est L'HOMME

 

DE LETTRES.

homme_lettres

 

Cet homme est toujours aimé, toujours compris, toujours

 

en vue; comme il est léger et ne pèse à personne,

 

il est porté dans tous les bras ou il veut aller; c'est

 

l'aimable roi du moment, tel que le dix-huitième siècle

 

en a tant couronné. Cet homme n'a nul besoinde

 

pitié.

 

Au-dessus de lui est un homme d'une nature plus

 

forte et meilleure. Une conviction profonde et grave est

 

la source oit il puise ses oeuvres et les répaud à larges

 

flots sur un sol dur et souvent ingrat. Il a médité

 

dans la retraite sa philosophie entière; il la voit tout

 

d'un coup d'ceil; il la tient dans sa main comme une

 

chaîne, et petit dire à quelle pensée il va suspendre son

 

premier anneau, à laquelle aboutira le dernier, et

 

quelles oeuvres pourront s'attacher à tous les autres

 

dans l'avenir. Sa mémoire est riche, exacte et presque

 

infaillible; son jugement est sain, exempt de troubles

 

autres que ceux qu'il cherche, de passions autres que

 

ses colères contenues; il est studieux et calme. Son génie,

 

c'est l'attention portée au degré le plus élevé, c'est le

 

bon sens à sa plus magnifique expression. Son langage

 

est juste, net, franc, grand dans son allure et vigoureux

 

dans ses coups. Il a surtout besoind'ordre et de

 

clarté, ayant toujours eu vue le peuple auquel il parle

 

et la voie oh il conduit ceux qui croient en lui. L'ardenr

 

d'un combat perpétuel enflamme sa vie et ses

 

écrits. Son coeur a de grandes révoltes et des haines

 

larges et sublimes qui le rongent en secret, mais que

 

domine et dissimule son exacte raison. Après tout, il

 

marche le pas qu'il veut, sait jeter des semences à une

 

grande profondeur, et attendre qu'elles aient germé

 

dans une immobilité effrayante. Il est maitre de lui et

 

de beaucoup d'âmes qu'il entraine dit nord au sud,

 

selon son bon vouloir; il tient un peuple dans sa main,

 

et l'opinion qu'on a de lui le tient dans le respect de

 

lui-même et l'oblige à surveiller sa vie. C'est le véritable,

 

LE GRAND ÉCRIVAIN.

L1040041

 

Celui-là n'est pas malheureux il a ce qu'il a voulu

 

avoir; il sera toujours combattu, mais avec des armes

 

courtoises; et, quand il donnera des armistices à ses

 

ennemis, il recevra les hommages des deux camps.

 

Vainqueur ou vaincu, son front est couronné. Il n'a

 

nul besoin de votre pitié.

 

Mais il est une autre sorte de nature, nature plus

 

passionnée, plus pure et plus rare. Celui qui vient

 

d'elle est inhabile à tout ce qui n'est pas l'oeuvre divine,

 

et vient au monde à de rares intervalles

malheureusement pour l'espèce humaine.

 

Il y vient pour étre à charge aux autres,

 

quand il appartient complètement à cette race exquise

 

et puissante qui fui celle des grands hommes inspirés.

 

L'émotion est née avec lui si profonde et si intime,

 

qu'elle l'a plongé, dés l'enfance, dans des extases involontaires,

 

dam des rêveries interminables dans des inventions

 

infinies. L'imagination le possède par-dessus

 

tout. Puissamment construite, sort âme retient et juge

 

toute chose avec une large mémoire et un sens droit et

 

pénétrant; mais l'imagination emporte ses facultés vers

 

le ciel aussi irrésistiblement que le ballon enlève la nacelle.

 

Aumoindre choc, elle part; au plus petit soujjle,

 

elle vole et ne cesse d'errer dans l'espace qui n'a pas de

 

routes humaines. Fuite sublime vers des mondes inconnus,

 

vous devenez l'habitude invincible de son âmel

 

Dès lors, plus de rapports avec les hommes qui ne

 

soient altérés et rompus sur quelquespoints. Sa sensibilité

 

est devenue trop ce qui ne fait qu'effleurer

 

les autres la blessejusqu'au sang les affections et les

 

tendresses de sa vie sont écrasantes et disproportionnées

 

ses enthousiasmes excessifs s'égarent ses sympathies

 

sont trop vraies; ceux qu'il plaint souffrent moins

 

que lui, et il se meurt des peines des autres. Les dégoûts,

 

les froissements et les résistances de la société

 

humaine le jettent dans des abattements profonds, dans

 

de noires Indignations dans des désolations insurmontables,

 

parce qu'il comprend tout trop complètement et

 

trop profondément, et parce que soit ail va droit aux

 

causes qu'il déplore on dédaigne, quand d'autres yeux

 

s'arrêtent à l'effet qu'ils combattent. De la sorte, il se

 

tait, s'éloigne, se retourne sur lui-même et s'y renferme

 

comme dans un cachot. Là, dans l'intérieur de sa tête

 

brûlée, se forme et s'accroît quelque chosede pareil ri un

 

volcan. Le feu couve sourdement et lentement dans ce

 

cratère, et laisse échapper ses laves harmonieuses, qui

 

d'elles-mêmes sont jetées dans la divine forme des vers.

 

Mais le jour de l'éruption, le sait-il? On dirait qu'il

 

assiste en étranger à ce qui se passe en lui-même, tant

 

celaest imprévu clcélesteUl marche consumé par desardeurs

 

secrètes et des langueurs inexplicables. Il va

 

comme un malade et ne sait oit il va il s'égare trois

 

jours, sans savoir où il s'est traîné, commefit jadis celui

 

qu'aime le mieux

la France

; il a besoin de ne rien

 

faire, pour faire quelque chose en son art. Il faut qu'il

 

ne fasse rien d'utile et de journalier pour avoir le temps

 

d'écouter les accords qui se forment lentement dans son

 

âme, et que le bruit grossier d'un travail positif cl régulier

 

interrompt et fait infailliblement évanouir.

 

C'est le poète. Celui-là est retranché dés qu'il se

 

montre: toutes vos larmes, toute votre pitié pour lui 1

 

Pardonnez-lui et sauve^-le. Cherchez,et trouve^ pour

 

lui une lie assurée car à lui seul il ne saura trouver

 

que la mort! C'est dans la première jeunesse qu'il

 

seul sa force naître, qu'il pressent de soit génie,

 

qu'il étrcînt d'un amour immense l'humanité et la nature,

 

et c'est alors qu'on se défie de lui et qu'on le repousse.

 

Il crie à la multitude. C'est à vous que je parle,

 

faites que je vive! » Et la multitude ne l'entend pas;

 

elle répond « je ne te comprends point! » Et elle a

 

raison.

 

Car soit langage choisi n'est compris que d'un petit

 

nombre d'hommes choisi lui-même. Il leur cric: <t Écoutez-

 

moi, et faites que je vive! » Mais les uns sont enivrés

 

de leurs propres ouvris, les autres sont dédaigneux

 

et veulent dans l'enfant la perfection de l'homme, la

 

plupart sont distraits et indifférents tous sont impuissants

 

à faire le bien. Ils répondent c Nous ne pouvons

 

rienl » El ils ont raison.

 

Il crie au pouvoir: « Écoutez-moi, et faites que je

 

ne meure pas. » Mais le pouvoir déclare qu'il ne protège

 

que les intérêts positifs, et qu'il est étranger à l'intelligence,

 

dont il a l'ombrage; cela hautement déclaré et

 

imprimé, il répond « Que ferais-je de vous? a Et il

 

a raison. Tout le monde a raison contre lui. Et lui,

 

a-t-il tort ? Que faut-il qu'il fasse? je ne sais; mais

 

voici ce qu'il peut faire.

 

Il peut, s'il a de la force, sefaire soldat et passer sa

 

vie sous les armes; une vie agitée, grossière, oit l'activité

 

physique tuera l'activité morale. Il peut, s'il en a la

 

patience, se condamner aux travaux du chiffre, oit le

 

calcul tuera l'illusion. U peut encore, si son coeur ne

 

se soulh'e pas trop violemment, courber et amoindrir sa

 

pensée, et cesser de chanter pour écrire. Il peut être

 

Homme de lettres, ou mieux encore; si la philosophie

 

vient à son aide et s'il peut se dompter, il deviendra

 

utile et grand écrivain mais, à la longue, le jugement

 

aura tué l'imagination, et avec elle, hélas le vrai

 

Poème qu'elle portait dans son sein.

 

Dans tons les cas, il tuera une partie de lui-même;

 

mais, pour ces demi-suicides,pour cesimmenses résignations,

 

il faut encore une force rare. Si elle ne lui a pas

 

été donnée, cette force, on si les occasionsde l'employer

 

ne se trouvent pas sur sa route, et lui manquent,

 

mime pour s1 immoler;si, plongédans cette lente destruction

 

de lui-même,il ne s'ypeul tenir, quel parti prendre?

 

Celui que prit Chatterton se tuer tout entier; il

 

reste peu à faire.

 

Le voilà donc criminel! criminel devant Dieu et les

 

hommes. Car LE suicide EST UN CRIME reli-

 

GIEUX ET SOCIAL. Qui veut le nier? qui pense à.

 

dire autre chose} C'est ma conviction comme c'est,

 

je crois, celle de tout le monde. Voilà qui est bien entendu.

 

Le devoir et la raison le disent. Il ne s'agit

 

que de savoir si le désespoir n'est pas quelque chosed'un

 

peu plus fort que la raison et le devoir.

 

Certes, on trouverait des choses tien sages à dire à

 

Roméo sur la tombe de Juliette; mais le malheur est

 

que personne n'oserait ouvrir la bouchepour les prononcer

 

devant une telle douleur. Songe à ceci! la

 

Raison est une puissance-froide et lente qui nous lie peu

 

à peu par les idées qu'elle apporte l'une après l'autre,

 

comme les liens subtils, déliés et innombrables de Gulliver;

 

elle persuade, elle impose quand le cours ordinaire

 

des jours n'est que peu troublé; mais le Désespoir

 

véritable est une puissance dévorante, irrésistible, hors

 

des raisonnements et qui commencepar la pensée d'un

 

seul coup. Le Désespoir n'est pas une idée; c'est une

 

chose, une chose qui torture, qui serre et qui broie le

 

coeur d'un homme comme une tenaille, jusqu'à ce qu'il

 

soit fou et se jette dans la mort comme dans les bras

 

d'une mère.

 

Est-ce lui qui est coupable, dites-le moi? ou bien estce

 

la sociétéqui le traque ainsi jusqu'au bout?

 

Examinons ceci; on peut trouver que c'en est la

 

peine.

 

Il y a un jeu atroce, commun aux enfants du Midi;

 

tout le monde le sait. Ou forme un cercle de charbons

 

ardents; on saisit un scorpion avec despinces et on le

 

bose au centre. Il demeure d'abord immobile jusqu'à ce

 

que la chaleur le brûle; alors il s'effraye et s'agite. On

 

rit. Il se décide vite, marche droit à la flamme, et

 

tente courageusement de se frayer une route à travers

 

les charbons; mais la douleur est excessive, il se retire.

 

On rit. Il fait lentement le tour du cercle et cherche

 

partout un passage impossible. Alors il revient au centre

 

et rentre dans sa première mais plus sombre immobilité.

 

Enfin, il prend soit parti, retourne contre luimême

 

son dard empoisonné et tombemort sur-le-champ.

 

On rit plus fort que jamais.

 

C'est lui sans doute qui est cruel et coupable, et ces

 

enfants sont bons et innocents.

 

Quand un homme meurt de cette manière, est-il

 

donc suicide"! C'est la société qui le jette dans le brasier.

 

Je le répète, la religion et la raison, idées sublimes,

 

sont des idées cependant, et il y a telle cause de désespoir

 

extrême qui tue les idées d'abord et l'homme ensuite

 

la faim, par exemple. J'espère être assez positif.

 

Ceci n'est pas de l'idéologie.

 

Il me sera donc permis peut-être de dire timidement

 

qu'il serait bon de ne pas laisser un hommearriver

 

jusqu'à ce degré de désespoir.

 

Je ne demande à la sociétéque ce qu'elle peut faire.

 

Je ne la prierai point d'empêcher les peines de coeur et

 

les infortunes idéales, de faire que Werther et Saint-

 

Preux n'aiment ni Charlotte ni Julie d'Étauges; je ne

 

la prierai pas d'empêcher qu'un riche désoeuvré, roué et

 

blasé, ne quitte la vie par dégoût de lui-même et des

 

autres. Il y a, je le sais, mille idées de désolation auxquelles

 

on ne peut rien. Raison de plus, ce me

 

semble, pour penser à celles auxquelles on peut quelque

 

chose.

 

L'infirmité de l'inspiration est peut-être ridicule et

 

malséante; je le veux. Mais ou pourrait ne pas laisser

 

mourir celle sorte de malades. Ils sont toujours peu

 

nombreux, et je ne puis me refuser à croire qu'ils ont

 

quelque valeur, puisque l'humanité est unanime sur

 

leur grandeur, et les déclare immortels sur quelques

 

vers: quand ils sont morts, il est vrai.

 

Je sais bien que la rareté mime de ces hommes inspirés

 

et malheureux semblera prouver contre ce que j'ai

 

écrit. Sans doute, l'ébauche imparfaite que j'ai tentée

 

de ces natures divines ne peut retracer que quelques

 

traits des grandes figures du passé. On dira que les

 

symptômes dit génie se montrent sans enfantement ou

 

ne produisent que des oeuvres avortées; que tout homme

 

jeune et rêveur n'est pas poète pour cela; que des essais

 

ne sont pas des preuves; que quelques vers ne donnent

 

pas des droits. Et qu'en savons-nous? Qui donc

 

nous donne à nous-m'eme le droit d'étouffer le gland en

 

disant qu'il ne sera pas chêne?l

 

Je dis, moi, que quelques vers suffiraient à les reconnaître

 

de leur vivant, si l'on savait y regarder. Qui

 

ne dit à présent qu'il eut donné tout au moins une

 

pension alimentaire à André Chénier sur l'ode de la

 

Jeune Captive seulement, et l'eût déclaré poète sur les

 

trente vers de Myrto? Mais je suis assuré que, durant

 

sa vie (et il n'y a pas longtemps de cela), on ne pensait

 

pas ainsi; car il disait:

 

Las du mépris des sots qui suit la pauvreté,

 

Je regarde la tombe, asile souhaité.

 

Jean

La Fontaine

a gravé pour vous d'avance sur

 

sa pierre avec soit insouciance désespérée:

 

Jean s'en alla commeil était venu,

 

Mangeant son fonds avecson revenu.

 

Mais, sans ce fonds, qu'eût-il fait? à quoi, s'a vous

 

plait, était-il bon? Il vousle dit à dormir et lie rien

 

faire. Il fut infailliblement mort de faim.

 

Les beaux vers, il faut dire le mot, sont une marchandise

 

qui ne plait pas ait commun des hommes. Or,

 

la multitude seulemultiplie le salaire; et, dans les plus

 

bellesdes nations, la multitude lie cessequ'à la longue

 

d'être commune dans ses goûts et d'aimer ce qui est

 

commun. Elle lie peut arriver qu'après une lente instruction

 

donnéepar les esprits d'élite; et, en attendant,

 

elle écrase sous tous ses pieds les talents naissants, dont

 

elle n'entend même pas les cris de détresse.

 

Eh! n'entendez-vous pas le bruit des pistolets solitaires?

 

Leur explosion est bien plus éloquente que ma faible

 

voix. N'entendei-vous pas ces jeunes désespérés qui

 

demandent le pain quotidien, et dont personne lie paye

 

le travail? Eb quoi! les nations manquent-elles à ce

 

point de superflu? Ne prendrons-nous pas, sur les palais

 

et les milliards que nous donnons, une mansarde et un

 

pain pour ceux qui tentent sans cesse d'idéaliser leur

 

nation malgré elle ? Cesserons-nousde leur dire: Désespère

 

et meurs; despair and die? » C'est au législateur

 

à guérir cette plaie, l'une des plus vives et des

 

plus profondes de notre corps social; c'est à lui qu'il appartient

 

de réaliser dans le présent une partie des jugements

 

meilleurs de l'avenir, en assurant quelques années

 

d'existence seulement à tout homme qui aurait donné un

 

seul gage du talent divin. Il ne lui faut que deux choses:

 

la vie et la rêverie, le PAINet le temps.

 

Voilà le sentiment et le vxu qui m'a fait écrire ce

 

drame je ne descendrai pas de cette question à celle de

 

la forme d'art que j'ai créée. La vanité la plus vaine

 

est peut-être celle des théories littéraires. Je ne cesse de

 

m' étonner qu'il y ait eu des hommes qui aient pu croire

 

de bonnefoi, durant un jour entier, à la durée des

 

règles qu'ils écrivaient. Une idée vient ait monde tout

 

année, comme Minerve; elle revêt en naissant la seule

 

armure qui lui convienne et qui doive dans l'avenir être

 

sa forme durable l'une, aujourd'hui, aura un vêtement

 

composé de mille pièces; l'antre, demain, un

 

vêtement simple. Si elle parait belle à tous, on se hâte

 

de calquer sa forme et de prendre sa mesure; les rhéteurs

 

notent ses dimensions pour qu'à l'avenir on en

 

taille de semblables. Soin puéril II n'y a ni maître

 

ni écoleen poésie; le seul maître, c'est celui qui daigue

 

faire descendre dans l'homme l'émotion féconde, et faire

 

sortir les idéesde nos fronts, qui en sont brisés quelquefois.

 

Puisse cetteforme ne pas être renversée par l'assemblée

 

quila jugera dans six mois! Avec elle périrait un

 

plaidoyer en faveur de quelques infortunés inconnus;

 

mais je croîs trop pour craindre beaucoup. Je crois

 

surtout à l'avenir et ait besoin universel de choses

 

sérieuses; maintenant que des yeux par des

 

surprises enfantines fait sourire tout le mouds au milieu

 

même de sesgrandes aventures, c'est, ce me semble, le

 

temps du dkame de LA pensée.

 

Une idée qui est l'examen d'une blessure de l'âme

 

dei'ait avoir dans sa forme l'unité la plus complète, la

 

simplicité la plus sévère. S'il existait une intrigue moins

 

compliquée que celle-ri, je la choisirais. L'action matérielle

 

est assez peu de chose pourtant. Je ne crois pas que

 

personne la réduise à une plus simple expression que,

 

moi-même, je ne le vais faire: C'est l'histoire d'un

 

homme qui a écrit une lettre le malin, et qui attend la

 

réponse jusqu'au soir; elle arrive, et le tue. Mais ici

 

l'action morale est tout. JJaction est dans cette âme

 

livrée à de noires tempêtes; elle est dans les coeurs de

 

celle jeune femme et de ce vieillard qui assistent à la

 

tourmente, cherchant en vain à retarder le naufrage,

 

et luttent contre un ciel et une mer si terribles que le

 

bien est impuissant, et entrains lui-même dans le désastre

 

inh'itable.

 

J'ai voulu montrer l'homme spiritualislc étouffé par

 

une société matérialiste, ait le calculateur avare exploite

 

sans pitié l'intelligence et le travail. Je n'ai point prétendu

 

justifier les actes désespérés des malheureux, mais

 

protester contre l'indifférence qui les y contraint. Peut-on

 

frapper trop fort sur l'indifférence si difficile à éveiller,

 

sur la distraction si difficile à fixer? Y a-t-il un

 

autre moyen de toucher la société que de lui montrer la

 

torture de ses victimes?

 

Le Poète était tout pour moi; Chatterton n'était

 

qu'un nom d'homme, et je viens d'écarter à dessein des

 

faits exacts de sa vie pour ne prendre de sa destinée que

 

ce qui la rend un exemple à jamais déplorable d'une

 

noble misère.

 

Toi que tes compatriotes appellent aujourd'hui merveilleux

 

enfant et tu aies été juste ou non, tu as été

 

malheureux; j'en suis certain, et cela me suffit.

 

Âme désolée,pauvre âme de dix-huit ans! pardonne moi

 

de prendre pour symbole le nom que tu portais sur

 

la terre, et de tenter le bien en ton nom."


Écrit du 29 au 30 Juin 1834

chatterton_fou

 

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